vendredi 27 août 2021

La Bête du Gévaudan, ou presque

Ceci est une déposition concernant le chien dénommé Ki-uon (Kio)


Les faits : Caroline et moi achetons Kio à un couple. La femme affirme que la raison de la cession est qu’ils n’arrivent pas à acquérir la maison désirée, à cause du covid, et que donc l’appart est trop petit. Elle ajoute quand-même qu’elle a un problème d’autorité avec lui, et comme elle a une fille, elle préfère être prudente.

Le chien a déjà passé du temps chez une autre femme avec un jackrussel entier de sept ans, mais ça ne s’est pas bien passé, le jack a mordu une fois Kio qui n’a PAS mordu en retour. Kio est donc revenu chez le couple.


Lors de notre rencontre pour acquérir le chien, nous avons conscience que les papiers (LOF par exemple) arriveront plus tard par la poste, vu qu’ils sont encore chez la dame au jack.

Les choses se passent bien, notre chienne et Kio jouent ensemble, c’est bon enfant, pas la moindre violence. Le contact avec le couple est sans problème, ce sont des gens éduqués et respectueux. C’était le premier chien de la dame, cela me semblait donc normal qu’elle ait un problème d’autorité avec un Beauceron mâle entier. Ce ne sont pas des chiens dits ‘faciles’.

J’établis contact avec le chien, tout se passe bien, il n’est pas nerveux, et ne semble pas avoir de phobies particulières, ni être exagérément dominant. Seul détail, un peu trop entreprenant avec Maddie, mais je me dis que c’est parce qu’il est très attiré par elle.

Nous restons deux heures sur place dans ces conditions, le rappel est bon, il ne marque aucun comportement anormal avec les passants.

Ensuite, nous prenons la voiture pour un voyage de trois heures direction la maison, avec deux pauses. Rien à signaler. Il ne s’approprie pas l’espace arrière de la voiture, il me laisse y monter sans problème quand je dois le faire.


A la maison, il s’est montré doux, affectueux, joueur, intelligent, apprenant vite. Il ne semblait pas avoir de problème particulier sur tous les niveaux éthologique que je connaisse. La bouche était désensibilisée, je pouvais jouer avec sa bouche, comme mon chien précédent.


Les premiers signes de problèmes éventuels ont commencé avec un os de poulet qu’il avait subtilisé de la table de la cuisine (les beaucerons sont chapardeurs) et que j’avais tenté de lui prendre de la bouche pour ne pas qu’il se coince un os de poulet dans la gorge. Je venais de prendre un téléphone et mon attention a été distraite trois secondes.

Je me suis fait pincer la main droite. Pas de trou pénétrant. Pour moi, pas d’alerte comportementale majeure, c’est un malentendu, un concours de circonstances.

Deuxième accident, dans des conditions similaires, il refuse que je lui prenne un objet, m’aboie en claquant des dents, près de ma main, mais sans la mordre, ni la pincer. Pour moi il y a évolution rapide du chien, il comprend vite, et évolue dans le bon sens. Je suis content de lui.

Au fil des jours, la confiance s’installe, il me respecte, il respecte Caroline et Maddie, notre Beauceron femelle de cinq ans.

Maddie le remet souvent en place, comme elle le ferait avec un de ses petits devenu grand, mais aucune bagarre n’en a découlé. Il ne semblait pas non plus frustré de cette hiérarchie naissante.

On peut dire que tout se passe bien, et le chien finit par me donner son estime et sa soumission symbolique, un jour, par pur bonheur, en se mettant tout seul sur le dos à mes pieds et prenant ma main pour jouer avec un ou deux ‘coups de langue’ pleins d’affection, alors que Caroline et moi-même étions en train de discuter au soleil, assis sur des chaises. Il a fait cette démonstration d’affection sans qu’on ne lui ait rien demandé, de façon spontanée et autonome. J’étais ravi, ça allait bien, et je croyais avoir trouvé mon prochain binôme. Ayant perdu Mon beauceron mâle entier de cinq ans qui est tombé gravement malade et en est mort. J’étais heureux.

En ville, ce chien était sans problème, calme, curieux, observateur, obéissant. Que dire de plus ? Un chien parfait.


Puis il y a eu ce moment.

Nous sommes tous ensemble dans ma chambre, je suis devant mon pc. Caroline et moi échangeons comme à l’accoutumée en philosophant dans une ambiance sereine. J’ai fabriqué en sapin douglas la boiboite pour le chienchien, sa boite à lui, avec couverture en laine, il a reçu cette marque d’estime de ma part, il est avec nous. De temps en temps il se met sur mon lit qui est au sol (nous sommes encore en travaux, et j’ai une vie spartiate), mais il ne pose aucun problème, il sait que c’est mon lit, et n’entre pas en compétition sur ce sujet, je ne me sens pas menacé du tout. Maddie à l’habitude de monter sur le lit de Caroline. J’ai informé Caroline que ce n’est pas une chose à faire, mais bon, c’était son premier chien. Je me dis qu’il faudra que je corrige cela, mais j’ai le temps, il n’y a rien de grave ou urgent. Il n’a pas essayé de monter sur le lit de Caroline.


Tout à coup Caroline me dit qu’il risque d’avaler un truc en plastique avec lequel il joue. Je me lève et identifie du regard la pièce en plastique, j’attends qu’il recule sa tête et saisit le morceau calmement mais sans attendre. Nous avons déjà emmené des chiens avec des trucs coincés dans le système digestif, et nous savons que cela peut facilement être grave. Ma main touche le plastique alors que son museau est à plus de 25 centimètres et là, l’ATTAQUE commence. Aucun grognement, aucun signe précurseur, c’était un moment on ne peut plus paisible. D’instinct je retire ma main droite qui échappe de justesse. Je recule, et l’attaque continue, il mord ma main gauche à pleine force. Ce n’est pas un accident, ce n’est pas normal du tout, il attaque au maximum, je comprends que ma vie est en danger. Au moment où il lâche ma main pour continuer à se lancer sur moi, je lui lance un coup de coude droit à pleine force dans la gueule. Cela me donne 2 secondes pendant lesquelles, par la grâce de Dieu, j’ai le temps de saisir la serpette qui est au sol et que j’ai fini d’aiguiser quelques heures auparavant, et tout de suite je donne deux coups vers sa gueule, un coup droit, un revers. Je fais une pause, il fait une pause. Puis il RECOMMENCE. Là je comprends que le chien est devenu FOU. Je donne une série de 4 coups, droits et revers, mais d’estoc cette fois-ci (avec le plat de la lame), comme de grosses baffes des deux côtés de sa gueule. Là il comprend qu’il a perdu, et va sur mon lit, puis se retourne et me fait face en me fixant dans les yeux. Ma main ressemble à une pièce de viande, et lui saigne du menton. La scène est traumatisante. J’ai la serpette levée, prêt à frapper pour défendre ma vie, ou celle de Caroline, ou celle de ma chienne. Ces dernières sont en état de sidération. Je fixe le chien, et j’attends. Il finit par abandonner après de longues secondes (au moins une minute pour Caroline, qui affirme qu’il était prêt à attaquer à nouveau, malgré la serpette), et se couche dans mon lit, en saignant sur mon sac de couchage, en nous regardant avec un regard, qui nous a donné une impression de folie. Par terre il y a mon sang. Ma main est opérationnelle, je suis aussi mordu au coude, je sais que je suis en état de choc physique, et Caroline est en état de choc psychologique.

Nous sortons de la maison très doucement, je garde ma serpette. J’ai fait de l’escrime étant petit, du tennis, et j’ai abondamment utilisé la serpette dans des conditions de jardinage, et de débroussaillage par le passé. S’il avait attaqué encore, je l’aurai tué avec, je n’avais pas le choix. Je crois qu’il a vu ça dans mes yeux.

Le coup de coude, je le tire d’un entraînement au self défense appliqué avec assiduité. Je précise que je n’ai pas appris à me servir d’une ‘arme blanche’, c’est une serpette de jardinage, et elle était là par pure chance, si cela avait été un marteau ou une poile à frire, ç’aurait été le même résultat.

Nous sortons de la maison, fermons la porte, nous sentons immédiatement plus en sécurité, et tout de suite, l’aspect INFERNAL de la scène nous saute aux yeux.


Et maintenant la suite :

Gendarmerie, pompiers, vétérinaire, se renvoient la patate chaude d’une façon incroyable. Les gens ne réalisent pas le danger, et nous renvoient l’un à l’autre sans que personne ne puisse faire intervenir les gens du chenil avec un collet, ou un véto avec un fusil à fléchète hypodermique. Nous sommes invités à nous débrouiller par nous-mêmes, nous sommes en pleine nuit. Je suis blessé, et on entend même une personne conseiller à Caroline d’attacher le chien dans le jardin.

J’interdis à Caroline de faire cela, je n’envoie pas ma femme à la mort, ou à des lésions corporelles graves. Si il l’attaque, blessé comme je suis, ça risque de devenir très difficile. J’ai des tremblements de certains de mes muscles, et je sens bien que ma main gauche va avoir besoin de vacances, le bras droit, ça va, mais faut pas pousser.

Nous sommes dehors, je n’ai pas de quoi me soigner.

Je fais une rentrée furtive pour saisir un sac qui est dans la cuisine, et dans lequel se trouve de quoi limiter la casse, stopper l’écoulement, et désinfecter. Nous sommes dehors, et c’est dans ces conditions que j’ai donné ces coups de fil. Il n’y a que la police qui ait fait preuve de courtoisie, et de compréhension, tout en me signifiant qu’ils n’avaient pas le droit de venir tirer l’animal avec leur arme de service.

Nous sommes estomaqués de ce manque TOTAL de soutien, et d’assurance de la sécurité des gens, ou même de leur vie.

Nous devons nous débrouiller. Nous montons un plan pour rentrer sans se faire agresser, mais point besoin, puisque lorsque nous rentrons, pensant ne pas être entendus, le chien surgit de nulle part et sort après avoir bien vu que ma serpette était encore dans ma main. Etait-il en embuscade ? Ou cherchait-il à manger dans la cuisine ? C’est dans cette pièce que se trouve l’entrée de la maison. Il est dehors nous sommes dedans, la porte est fermée, ça va mieux.

Les coups de fil suivants ne sont pas plus productifs. Patate chaude. Le véto renvoie tantôt aux pompiers, tantôt à la police. La gendarmerie renvoie au véto. La police renvoie au chenil qui renvoie au véto ou à la gendarmerie. Ce jeu de l’oie a certes quelques qualités comiques, mais aucun effet décongestionnant ou désinfectant. Nous sommes dans une maison autours de laquelle le chien tourne maintenant comme un lion après sa gazelle. Caroline commence à soupeser le danger de la situation. Demain il faudra que j’aille absolument chercher de quoi me soigner car je n’ai plus de bandages, et j’arrive au bout du désinfectant. Il faudra bien que nous sortions de cette maison et personne n’est même capable de nous dire si nous sommes en droit de ‘régler ce problème’ nous-mêmes (avec un parpaing par la fenêtre ? J’ai pensé à utiliser la mousse de l’exctincteur). L’esprit est sous le choc, les choses deviennent un peu brumeuses, où ais-je mis mon téléphone ? Ou sont mes clés, comment vas-tu ? Ou est le chien ? Lorsque j’ouvre une fenêtre il court devant et me fait face. Son menton ne saigne plus, mais la petite plaie est visible. Il ne marque aucune crainte de moi, aucun caractère fuyant, ou de ‘modestie’ canine (je viens de le battre en combat, les chiens savent ce genre de choses). Il est fier, arrogant, et, ayant eu un certain nombre de chiens, de chats, et même de chevaux, je n’ai JAMAIS vu ça. Ma vie est ENCORE en danger. Aujourd’hui je comprends que bien que me prenant de haut, certains des individus que j’ai eu au bout du fil avaient en fait eu peur, en plus d’être clairement sous-qualifiés, et impolis.


Deux ou trois heures de sommeil plus tard nous nous réveillons et descendons dans la cuisine. J’entre-ouvre les volets, et le chien fonce sur moi avec son regard.. de monstre. Je n’en reviens pas, mais là, je sais que je n’ai plus le choix. Il faut faire face.

Caroline et moi échafaudons un plan à base de lait, d’os de vache pour dévier le chien sur la partie gauche du terrain, ce qui nous donnerait le temps de prendre la voiture pour aller en ville. Seul problème, il faut que Caroline aille devant pour donner cela au bon endroit, mais l’avantage pour moi c’est que je suis derrière, ce qui me donnerait plus d’effet de surprise si je le frappe par derrière. Je sais aussi que Maddie ne l’attaquera pas, je constate aujourd’hui que notre chienne est non-violente, quasiment bouddhiste. Nous ne réfléchissons pas trop et organisons notre sortie. Je suis pressé de changer de bandage, il faut que je sache où mes blessures en sont. Le sang ne sortait pas en jet, mais si je dois frapper ce chien, je ne peux pas me servir de ma main gauche. Je prends une tige métallique posée dans la cuisine (je les utilise pour mes coffrages en béton, je viens de finir une petite terrasse dans le jardin).

Nous mettons en route notre stratagème, et j’espère qu’il aura assez faim et soif pour ne pas penser à moi, mais ce n’est pas sûr car il a reçu à manger et à boire au cours de la nuit.

Caroline sort avec ses appâts, il la suit, Maddie est derrière moi. J’attends qu’ils passent le coin, je les suis discrètement. Caroline pose les chose à terre, le chien commence à grogner et à la pousser lentement vers la cave. Je descends vers lui.

Je balance en l’air un mouvement de mon épée improvisée, il l’évite et part de nouveau en ATTAQUE. Je panique, je plante cette tige dans son flan, une fois, deux fois, et après, je ne sais plus trop bien. La douleur a pris le dessus et il s’enfuit avec quelques cris de douleur . Je le suis un moment, mais je le perds.

La suite est plus ou moins connue. Je retrouve Caroline, histoire d’assurer sa défense. Plus tard, j’irai chercher un peu le chien aux alentours, dans la forêt, muni de ma tige métallique, ou dans la maison, mais rien. Je suis tombé une ou deux fois dans les bois, me suis rendu compte que j’avais froid, ai pensé à ma main, et Caroline est partie acheter ces choses pour moi, constant mon état.

J’ai beau être courageux, lors du deuxième affrontement, j’ai ‘paniqué’, j’ai perdu le contrôle. Mes souvenirs de ce moment sont flous. J’en ai fait un cauchemar où des chiens me croquent les mains.

Tout ce que sais, c’est que si je n’avais pas donné ce coup de coude, il aurait commencé une attaque ventre/parties génitales. Je serai peut-être mort aujourd’hui. C’était un Beauceron entier de 72 cm au garrot, extrêmement rapide, précis, et habile. Très fort, même à 14 mois. Il était le chien de mes rêves, je ne lui aurai jamais fait le moindre mal. Le chien ‘parfait’ s’est transformé en monstre, qui pourra un jour me dire pourquoi ?

Nous en discutons régulièrement, et commençons la procédure thérapeutique de récit des événements. Nous sommes habitués à faire ressortir les détails des histoires traumatiques, nul doute que cet épisode de film d’horreur aura bien des vérités cachées à révéler.

Caroline et moi pensons que l’instinct de mère de la précédente propriétaire aura peut-être (Caroline dit ‘sans doutes’) sauvé la vie de son enfant.

J’ai offert tout mon savoir, mon expérience, et mon amour à ce chien, il s’est retourné contre moi sans raisons. Lui faire du mal a été un moment très désagréable. J’aurai tellement voulu que la gendarmerie fasse son boulot.


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