Dassaut est mort, entre éloges
et cynisme, les titres des journaux varient.
Symbole du capitalisme européen pour
certains, homme ayant trempé dans différentes magouilles pour
d'autres (ce qui peut sembler redondant à d'autres), il s'en est
allé au milieu d'une crise sans précédents dans notre histoire.
'Pourquoi la liberté de parole serait
aux journalistes et pas aux actionnaires ? C'est quand-même
extraordinaire, ça !' C'est cette citation qui m'a sauté aux
yeux hier avant de me coucher, je pense très clairement en avoir
rêvé toute la nuit, couché au sol entre deux buissons sous ma
bâche plastique favorite, bien à l'abri de la pluie qui délave la
France du sud au nord.
Si tu mets quelques dizaines de
centimes dans un distributeur, et que tu choisis la cannette de Coca,
c'est un Coca que tu auras, si tu as de la chance avec les
différentes mécaniques concernées. Pas un Orangina, un Fanta ou
des cacahuètes. Quand tu achètes un journal, c'est ce journal et
ses opinions dont tu te rends responsable. Les opinions de ce journal
sont là pour exprimer et défendre les vues politiques, sociales ou
autres des gens qui sont derrière ce journal.
Il te faudra beaucoup beaucoup de
cannettes de Coca pour prétendre avoir le droit de dire à Coca
Cola, 'changez votre recette'.
Devenir 'patron' du Figaro pour leur
dicter la ligne éditoriale, c'est un acte de guerre, puisqu'il entre
en contradiction avec la dite 'liberté d'expression'.
Avoir un droit de regard c'est normal,
mais s'étonner de ce que la liberté de l'actionnaire ne soit pas
équivalente à celle du journaliste, c'est s'étonner de recevoir un
Coca après avoir payé la machine pour obtenir ce résultat très
précis.
Bien entendu, j'ai pris cette citation
pour ce qu'elle me semble être à première vue, comme l'a sans
doute fait la majorité des lecteurs de ce pays, c'est à dire comme
l'expression très brutale et sans aucune discrétion d'un 'gros'
capitaliste bien borné. 'Il s'est trahi', sans aucun doute...
Produire le fleuron de l'armée
française en terme d'armement, et tenter de fuir le fisc... normal
quand les soldats doivent débourser de leur poche pour que leurs
chaussures ne soient pas trouées ?
Rien de bien surprenant à tout cela au
final il me semble.
Nan, ce qui me surprend, c'est qu'après
avoir sorti une ânerie pareille, le mec soit resté à son poste, il
est quand même surveillé par une famille non ? Ou un état au
moins, une opinion publique non ?
Dire que ce monde est une jungle et que
tout ce qui compte c'est le fric, et que la fin justifie les moyens,
c'est le genre de choses que l'on dit entre membres de la même
clique, quand on est sûr qu'il n'y a pas d'oreilles dans les murs.
Mais on ne dit pas cela à un journaliste.
Etait-il bête à ce point ? Gavé
de lui même au point de penser pouvoir provoquer inutilement les
gens en leur crachant à la figure ? Ou cela était-il une
manœuvre diabolique destinée à provoquer de façon scientifique et
neurologique les lecteurs en les poussant un peu plus vers une guerre
civile inévitable quand l'armée elle-même se rend compte de la
façon dont elle est traitée, quand le peuple se rend compte de la
même chose ?
Je ne connais pas assez le personnage
pour pouvoir me prononcer. Etait-il bête et méchant, ou faisait-il
semblant ?
Cette citation a donc provoqué en moi
une réaction épidermique. Quand on fait de la propagande, on prend
soin de ne pas le montrer, quand on veut étouffer la justice, on ne
le crie pas devant la porte d'entrée du tribunal, avec une corde à
piano dans la main. Je le soupçonne d'avoir été tellement sûr du
pouvoir que son argent lui conférait, qu'il en a omis de considérer
qu'il n'était toutefois pas le maître du monde pour autant, corde à
piano ou pas corde à piano. Un peu comme un assassin persuadé que
les lieux du crime sont entièrement déserts. Dans son cas ;
que le peuple de France serait incapable de lui rendre la monnaie de
sa pièce. Car je suis persuadé que même dans le sud de ce si beau
pays violé avec autant d'indolence, on sait apprécier les qualités
du Figaro.
On dit d'un journaliste qu'il 'défend
une opinion', une position politique. Un journaliste ce n'est pas un
pamphlétiste, ou un satyre. Il ne fait pas des tracts de propagande,
ou des listes de cibles. C'est un journaliste. Les journaux prennent
toujours un ton plus dur lorsque la guerre est aux portes bien
entendu. Mais lorsque certains journaux perdent le ton adéquat, ils
sont alors qualifiés avec justesse 'd'instruments du pouvoir' ou
autres qualificatifs du genre, avec justesse j'entends. Il arrive
bien sûr que des journalistes soient qualifiés de la sorte à tort,
même s'ils sont 'dans le ton', mais c'est une autre histoire...
Un journaliste est donc 'en défense'
par la nature même de son activité. Ce n'est pas de la conquête,
c'est de la description, de l'investigation, ou de la philosophie.
Acheter un journal pour en redéfinir
la ligne éditoriale s'apparente donc à du viol, ou à de la
trahison/infiltration, ou à une attaque toute simple contre la
liberté d'expression justement, ce qui est criminel.
Une OPA agressive reste une manœuvre
légale, même si elle est clairement acceptée comme faisant partie
de la panoplie guerrière de l'acteur économique évoluant dans la
jungle de ce monde.
Mais accepterait-on qu'une OPA sur un
hôpital précède une injonction de mettre de la mort aux rats dans
les vaccins pour bébés ?
Non, car l'hôpital reste soumis au
droit du pays dans lequel il se trouve. Idem pour le journal 'le
Figaro'. Donc avoir 'un droit de regard' sur ce qu'écrivent les
journalistes, c'est prétendre devenir rédacteur en chef du dit
journal suite à l'acquisition de position dans le capital action.
C'est le directeur qui décide de comment fonctionne la machine. Les
actionnaires peuvent prétendre à un rendement minimal des actions,
mais pas à la façon dont le directeur gère les affaires, sauf en
cas de mauvaise gestion bien entendu. Mais même dans ce cas, ça ne
fait pas d'eux des directeurs compétents. Ils n'ont qu'à en trouver
un autre, qui doit alors être suffisamment qualifié pour le poste.
S'il y avait bien un journal à ne pas
acheter pour appliquer une telle politique de prédation économique
assortie d'un tel bouquet d'insanités, c'est bien le Figaro.
Dans mes différentes enquêtes sur
toute une série de sujets explosifs, je suis souvent retombé sur ce
journal, y piochant des articles qui dépassaient le monde
journalistique d'une petite coudée, des éléments manquants
ailleurs, une vision synthétique particulière, ou une morale
conclusive particulièrement lumineuse. Je n'ai pas enquêté sur ce
journal (heureusement pour moi à l'époque, j'avais assez d'ennemis
comme ça), et sans l'avoir fait à l'heure qu'il est, je tiens
toutefois à leur tirer mon chapeau, car avec le peu d'expérience
que j'ai dans le domaine, je sais toutefois à quel point cela peut
être dur de mener son enquête dans des sujets difficiles ou
épineux. Et si en plus c'est votre 'patron' qui vous met des bâtons
dans les roues, il y a de quoi se mettre à manger sa chaise.
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